"Hiver à Sokcho", Koya Kamura explore l’identité et la solitude dans un décor feutré

01 mars 2025
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Pour son premier film, Koya Kamura a choisi d’adapter Hiver à Sokcho, roman d’Elisa Shua Dusapin. Séduit par son atmosphère et la complexité de son héroïne, il y trouve un écho à son propre parcours. Soo-ha, jeune femme franco-coréenne, a grandi sans son père français et tente de comprendre son héritage. Sa rencontre avec Yan Kerrand, dessinateur venu travailler dans la pension où elle travaille, ravive des questions enfouies sur son identité.

Sokcho, ville balnéaire proche de la Corée du Nord, occupe une place centrale. Loin de l’agitation estivale, elle se fige sous la neige et renforce la solitude des personnages. Koya Kamura capte ce contraste avec précision, et souligne l’isolement de Soo-ha et son désir d’ailleurs.

Un face-à-face marqué par l’incompréhension et le silence

Soo-ha, interprétée par Bella Kim, vit entre un emploi dans une pension désertée et des échanges avec sa mère, poissonnière sur le marché. Son petit ami rêve de Séoul et d’une carrière de mannequin, tandis qu’elle peine à imaginer un avenir. L’arrivée de Yan Kerrand, joué par Roschdy Zem, introduit une présence intrigante dans son quotidien.

Kerrand, absorbé par son travail, observe peu ce qui l’entoure. Soo-ha, fascinée par cet homme qui incarne une part inconnue de son histoire, tente d’établir un lien en lui parlant français. Il reste distant, indifférent à ses efforts, refusant même de goûter les plats qu’elle prépare. Le film ne force pas l’émotion et évite les évidences. Plutôt qu’une relation maître-élève ou père-fille, Koya Kamura filme une rencontre marquée par l’incompréhension et les attentes déçues.

Un regard précis sur la ville et ses habitants

La mise en scène privilégie les détails du quotidien. Sokcho, sous la neige, semble en suspens. Soo-ha, emmitouflée dans des vêtements amples, évite d’attirer l’attention. Kerrand, silhouette massive et gestes mesurés, s’impose sans chercher à se lier.

Les séquences animées d’Agnès Patron ajoutent une dimension plus abstraite. Elles traduisent les émotions de Soo-ha à travers des figures féminines aux formes exagérées. La pression sociale autour de l’apparence se reflète aussi dans le personnage d’une cliente de la pension, visage couvert de bandages après une opération de chirurgie esthétique.

Un récit sur l’identité et la place de chacun

Si le métissage constitue un point de départ, Hiver à Sokcho aborde une réflexion plus large. Comment se construit-on face au regard des autres ? Peut-on se sentir étranger dans son propre pays ? Soo-ha oscille entre fascination et rejet pour cette part inconnue d’elle-même. Koya Kamura ne cherche pas à donner de réponse définitive, préférant laisser parler les gestes et les silences.

Le rythme du film suit cette approche contemplative. Peu de dialogues, des échanges souvent avortés, des regards qui peinent à se croiser. Chaque détail, de la préparation d’un repas au bruit du crayon sur le papier, participe à cette quête intérieure.

Un début prometteur et un projet ambitieux en préparation

Avec Hiver à Sokcho, Koya Kamura signe un premier film maîtrisé, salué par la critique et le public. Fort de ces encouragements, il prépare son second long-métrage, Évaporé (titre provisoir) un thriller qui se déroulera à Fukushima autour du thème des disparitions volontaires au Japon.

Son goût pour les récits où l’intime croise des enjeux plus vastes se confirme. Après la Corée et ses paysages figés par l’hiver, il s’intéresse aux travailleurs précaires des chantiers de décontamination. Une autre histoire de solitude et de quête identitaire, portée par un regard précis et un sens du détail qui marquent déjà son cinéma.

Interview réalisée par Manuel Houssais dans le cadre du festival « À vous de voir » de Saint-Egrève