
« Je rêve de vous, je dis vous parce qu’il me semble que nous devons de nouveau faire connaissance… » C’est ainsi que débute Chantons sous les larmes, bouleversant recueil de lettres signé Agathe Natanson, comédienne et dernière compagne de Jean-Pierre Marielle. Elle confie à Manuel Houssais la nécessité vitale d’écrire à l’homme aimé, disparu mais jamais absent. Un témoignage rare, sincère, pudique, où l’amour côtoie le deuil, la solitude et une joie espiègle – à l’image du comédien inoubliable des Grands Ducs.
« Jean-Pierre est devenu moi et je suis devenue lui »
Comédienne elle-même, Agathe Natanson n’a jamais cessé d’écrire. Des lettres à ses enfants, à ses amis, et depuis la disparition de Jean-Pierre Marielle, à lui. Parce qu’il fallait bien continuer à parler à celui qui n’est plus là. Parce qu’écrire, c’est rester ensemble.
Ces lettres posthumes sont devenues Chantons sous les larmes, publié aux Éditions du Seuil, un ouvrage traversé de souvenirs, d’instants précieux et de douleur sublimée. « Je suis amputée, il me manque un bras, une jambe, un cœur… »
Mais dans cette solitude « poisseuse », l’actrice trouve la force d’ouvrir une fenêtre, de partager ce que vivre le deuil signifie, en creux et en lumière. Une démarche rare, sincère, précieuse.
Le chant discret d’un géant
Impossible d’évoquer Jean-Pierre Marielle sans parler de sa voix. « Il avait sa voix comme on a les yeux bleus », glisse Agathe Natanson. Lui, refusait de la travailler. Pas d’effets, pas de pose. Juste une musicalité naturelle, un timbre qui a traversé le cinéma français, Tous les matins du monde, Que la fête commence, coup de torchon..
Et ce goût du détail, qu’on croit parfois caprice et qui était, chez lui, exigence de vérité. Une boucle d’oreille manquante pour un tailleur Chanel dans Les Grands Ducs suffisait à interrompre le tournage. « Ce n’était pas du détail, c’était pour le personnage », rappelle-t-elle.
Même exigence dans son refus des enterrements grandioses. À l’opposé des obsèques médiatiques , Jean-Pierre Marielle avait écrit noir sur blanc ses volontés : une cérémonie intime, dans sa maison de Précy-le-Sec dans l'Yonne, entouré des paysans de son enfance. Sur sa tombe, une simple plaque avec les mots d'une chanson que fredonne Agathe Natanson dans cet entretien.
Chablis, sardines et silences
Entre deux souvenirs, Agathe Natanson convoque la tendresse. Comme ce rituel de Bourgogne : trinquer au Chablis, mais « dos de main contre dos de main », sans faire de bruit, pour ne pas alerter les patrons. Ou encore cette page irrésistible sur les sardines, à lire absolument : « Les sardines sont extrêmement importantes dans la vie d’une veuve », dit-elle en souriant.
Et puis il y a la maladie, qu’elle a longtemps cachée. Jean-Pierre Marielle a souffert de la maladie d’Alzheimer. Agathe l’a accompagné, aidé, aimé, jusqu’au bout. Elle témoigne aujourd’hui pour les aidants, au sein de la Fondation Recherche Alzheimer (AFRA), multipliant galas et conférences, avec la même générosité discrète.
Un livre, un spectacle ?
Chantons sous les larmes pourrait bientôt monter sur scène. Dominique Besnehard l’y encourage, tout comme Françoise Gillard, sociétaire de la Comédie-Française. Deux comédiennes, deux voix, deux âges pour dire ce texte ? Ou Agathe elle-même ? L’idée fait son chemin.
« J’aimerais qu’on n’oublie jamais Jean-Pierre », conclut-elle à Manuel Houssais qui ne peut contenir son émotion en fin d'interview. Avec ce livre, Agathe Natahson tisse un fil. Et nous offre, à travers ses lettres, un dialogue ininterrompu avec la mémoire d'un comédien, immense, et surtout d'un l’homme – pudique, généreux, d’une rare modestie.
Chantons sous les larmes – Lettres à Jean-Pierre Marielle
Agathe Natanson
Éditions du Seuil
Une interview réalisée à l'occasion du salon du livre de Saint-Honoré-les-Bains